Persévérance

Calligraphes

En silence !, ordonne le maître. Appliquez-vous avec lenteur et restez concentrés surtout. L’inlassable répétition fait l’art parfait, martèle-t-il. Dix ans plus tard, nous terminons, enfin, la première leçon : c’est une ligne horizontale. Le maître semble satisfait : demain nous tracerons deux traits.

Photo Ange7, Séoul 2009 .


-*- Écoutez donc le drelin-drelin d’un article au hasard du journal de 5h12 -*-

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Le départ de Simon

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Dans un coin de la classe, notre bonne maîtresse essayait de nous cacher qu’elle écrasait de grosses larmes. La salle était plongée dans un silence mortel aussi inhabituel que solennel. Simon nous quittait, ses parents avaient décidé de gagner le midi de la France et il nous faisait ses adieux. Un par un, comme pour un enterrement, nous nous succédâmes et lui serrâmes la main avec beaucoup de dignité. Quand ce fut mon tour, je me jetai dans ses bras et le blottis avec ferveur contre ma poitrine comme si je pouvais, une seconde seulement, le protéger de toutes les guerres et de toutes les folies des hommes. Puis il sortit de la pièce, nous adressant le regard désespéré de l’agneau qu’on jette aux lions. Nous ne devions plus jamais le revoir.

Le lendemain, cependant, Simon était là, à la cloche. Il nous expliqua que le départ était remis d’une semaine, ses parents n’étant pas prêts. Ce furent des jours extraordinaires. Chaque jeu était notre dernier jeu, chaque bleu, chaque bosse, chaque blague de gosse, nous vivions tout au maximum, comme si nous courrions, à perdre haleine, au bord d’un gouffre inquiétant.
Puis virent le samedi matin et une nouvelle cérémonie des adieux, plus poignante encore car nous savions la chance que nous avions goûtée avec cette rémission, ce sursis accordé. Enfin, Simon s’en fut.

Le lundi, pourtant, il était de nouveau là. Il nous expliqua qu’il avait oublié un gant, un cadeau de sa grand-mère disparue, qu’il devait le retrouver, qu’il ne pouvait partir sans. Nous le connaissions bien : c’était un gant de mauvaise laine, aux mailles trop lâches pour protéger du froid, c’était le gant de Simon. La recherche se poursuivit activement plusieurs jours mais enfin, tout ceci ne pouvait pas durer, le prétexte était trop gros, nous le pressentions avec émotion, et l’on apprit bientôt que Simon devait partir pour de bon.
Le lendemain, le coeur en miettes, nous fîmes pour la troisième fois nos adieux éternels à notre camarade qu’un sort cruel chassait de notre école.

Quelle ne fut pas notre surprise, le lundi suivant quand le nom de Simon, fut suivi, à l’appel, d’un silence de mort. Chacun s’était fait à l’idée que ce sacré yo-yo allait durer encore un peu. Mais là, tous les regards tournés vers sa chaise vide, les gorges se nouèrent bien que nous ne réalisâmes pas exactement ce que cette absence signifiât dans le grand schéma des choses. La journée fut morne et feutrée comme un jour de deuil. Je pleurai beaucoup ce soir-là, après l’école, la tête enfouie dans un coussin.

Le jour suivant, la chaise de Simon était occupée par un petit garçon qui lui ressemblait en tous points. Même tignasse, mêmes yeux malicieux, et même paire de gants incomplète. Il fallait se rendre à l’évidence : Simon était revenu. Il corrigea : il n’était pas parti, des maux d’estomac lui avait simplement fait rater la classe de la veille. Tandis qu’il expliquait cela, nous attendions tous la date fixée du prochain départ, du prochain déchirement, terrible et douloureux. Mais Simon n’en parla pas, ne l’évoqua pas même.

Des années durant, tandis que nous gravîmes côte à côte les degrés de l’éducation, je me demandais le pourquoi de toute cette mascarade. Simon avait-il inventé cela tout seul ? Ses parents avaient-ils vraiment projeté de partir avant de changer d’avis ? Jamais plus le sujet ne fut remis sur le tapis et il semblait dans certains de nos silences que nous faisions tous deux des efforts considérables pour ne pas lancer cette conversation.

Le hasard voulut que Simon, adulte et marié, s’installât juste à côté de chez moi. Notre amitié se poursuivit ainsi, sans la fougue de l’enfance mais avec la constance de la maturité.
Je gardai cependant, comme une blessure violente au fond de moi, le souvenir de ces trois faux départs qui m’avaient causé tant d’émotion et dont je souffrais de ne pas comprendre la motivation véritable. Et je ruminais souvent, dans le silence de la nuit, des questions et jonglais avec des hypothèses à m’en ôter le sommeil.

Un jour, près de vingt ans s’étaient écoulés depuis les événements, n’y tenant plus, je m’en fus chez Simon avec la ferme intention d’obtenir de lui une claire explication, dussé-je mettre tout le poids de notre amitié dans la balance. J’étais prêt, je crois, à le malmener s’il refusait de me répondre, je devais obtenir, enfin, un éclaircissement.
Je trouvai sa maison, porte ouverte, entièrement vide. J’appris bientôt qu’il avait déménagé dans la nuit, à la hâte. Il n’avait prévenu personne, nul ne savait où il était allé, ni pourquoi il était parti, sans même dire adieu.

Photo Môssieu Robert Doisneau, humbles retouches Ange7.

Au banc de bois

 

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Quand enfin nous pourrons,
épuisés par le poids de nos disputes à vide,
sombrer dans un silence univoque et glacial
qui vaudra pour accord,
quand nos corps se seront résignés au repos,
que leurs forces soufflées nous auront désertés,
quand nos regards lassés de nous tenir en joue
auront fermé paupière,
quand tous nos paysages seront unicolores,
alors nous serons prêts.

Et je te montrerai un lieu simple, à l’abri,
où nous nous assiérons.

Photo Ange7, Icheon 2007.

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Par ailleurs, l’année dernière, à la même heure : Pas à côté, pas n’importe où, non,
Sous les étoiles, dis ! / Pile en dessous, Gainsbourg n’aurait pas chanté mieux. / …
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