La côte se dessine en contours compliqués et très accidentés. Pas de rives allongées, ni de plages paisibles, mais des criques acérées qui vont se succédant. On les croirait croquées, dans la tarte terrestre, par des monstres mythiques aux tranchantes mâchoires. Et les rocs écroulés, striés et anguleux, semblent les cicatrices de cet enfantement chaotique, primaire.
Par contraste les flots sont empreints de douceur. Ici ,pas de marée: des vagues sédentaires flattent le littoral perpétuellement. Et sous le soleil brut, du bord à l’horizon, les eaux se mêlent aux cieux en noces ultramarines.
Notes pour plus tard :
Comme autant de soleils vifs, constellation cinabre, le plafond du temple était tout couvert de lampions formant des fleurs de lotus. Les visiteurs de passage y suspendaient leur prière, délicatement calligraphiée. Ainsi, entre la terre et les cieux, ces mots flottaient dans l’air d’encens, tirés vers le sol par la gravitation implacable et les douleurs dont ils faisaient foi, mais destinés à s’envoler vers l’univers infini, à porter haut les espoirs qui leur étaient confiés, enlevés comme passagers sur les ailes veloutées de la lente mélopée des moines.
Photo Ange7, Sokcho 2008.
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Comme un soleil et ses rayons, comme le baudrier d’Orion, brillons !
Avec brio, avec passion, et avec force conviction, brillons !
Luttons contre la corrosion, de nos vies la démolition, brillons !
Secouons nos inanitions, il faut que nous nous réveillions, brillons !
Tentons encore la fusion de nos coeurs et de nos actions, brillons !
Par la force ou par effraction, recouvrer l’imagination, brillons !
De la mare des agrions aux cieux infinis des alcyons, brillons !
Photo Ange7, Roumanie 2008.
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Sous le soleil rouge, posé rond sur la ligne d’horizon, en équilibre comme sur la corde d’un arc, la fragile embarcation de pêche montait et descendait au rythme gracile de vagues caressantes. À l’intérieur, un très vieil homme, la peau parcheminée, les mains fines et sèches, le cheveu long et blanchi, chantait en regardant fixement l’astre magnificent.
Il priait pour que la pêche soit bonne ; il implorait pour sa fille un homme, brave et qui la chérirait ; il ânonnait de vieilles rengaines dans une langue que lui seul, ou presque, déchiffrait encore ; de ses bras décharnés, il battait l’air avec mesure, donnant l’impression qu’il allait s’envoler ; il adorait, enfin, de toute la puissance magnétique de son coeur et toute la fugacité son être déclinant, la majestueuse et rougeoyante boule qui s’apprêtait à disparaître dans les flots.
La sereine cérémonie dura d’éternelles minutes.
Seul au milieu des eaux, balancé par un vent retenu et clément, le vieux pêcheur pleurait dans son bateau. Il pleurait la joie d’avoir vu encore une fois le soleil-roi prendre le long bain frais et sanguin de la nuit ; il pleurait tandis que les nuages bleus montaient prestes dessous la voûte céleste et couvraient, d’un voile pudique de mousseline, les brillantes étoiles, indécentes de beauté ; il pleurait débordant d’une gratitude inexprimable autrement.
Lentement, mais avec cette précision de mouvement que le grand âge accorde, il glissa la pagaie de bois dans l’eau qui miroitait et commença de ramer dans la nuit. L’eau s’échappait prise par le tournoiement en poussant de petits cris liquides, en perlant de minces rires de sirènes. Il progressait à la vitesse invisible de la vague, à la faveur des courants complices et sûrs qui le ramenaient vers la rive. De temps en temps, un poisson d’argent sautait hors de l’eau, brillait sous la lune, une seconde enchantée, avant de retourner à son élément premier. Chaque fois, le pêcheur le saluait d’un nom différent, Pierre-de-nuit, Goutte-suspendue ou Poisson-du-ciel. Encore, il sentit passer, sur ses rides profondes et dans ses cheveux attachés en queue de cheval, le murmure salé du vent sobre et nocturne, glissant sur la mer, agile comme un serpent, secret comme une tombe.
Le retour était moins fatiguant que l’aller pour le vieil homme, même si le bateau était à présent chargé de poissons odorants qui frétillaient au fond de la barque, respiraient le souffle épais de l’univers, s’en faisaient éclater les entrailles. Le geste rond et régulier du pêcheur donnait à son embarcation une grisante allure, et elle filait sur l’eau, gravant à peine son sillon, effleurant tout juste la surface bleu noir pâle, mélange savant des couleurs de la nuit, de la mer et de la clarté lunaire.
Bientôt, l’avant du bateau rencontra le ventre blanc de la plage qui se courba légèrement pour épouser sa forme. Empoignant solidement son filet, le jetant sur son épaule en une gracieuse courbe, le vieil homme se sentit rafraîchi par le contact de la pêche humide. Il sauta des deux pieds dans quelques centimètres d’océan où se reflétait en tremblant un tissu de ciel piqué d’or puis il se retira de l’eau comme on quitte une femme.
Ses pieds calleux s’enfonçaient dans le sable granuleux et sa lente marche formait un chemin creux de courbes droites et de courbes gauches, faiblement espacées, mais d’une régularité parfaite.
Il parvint au village le front humide et le dos trempé ; par les poissons plutôt que par l’effort. Avec douceur, il posa son filet sur le sol, à l’entrée de sa demeure et se faufila, sans bruit, jusqu’à sa couche. Il s’allongea, las, sur le dos, et tira sur ses yeux l’épais rideau du repos. Il plongea aussitôt dans un profond sommeil aquatique. Il ne prit ni le temps ni le cœur de penser, il avait un immense besoin de répit, une envie de nager dans les ténèbres, une faim dévorante de rêver.
Alors, comme chaque nuit, son esprit qui avait connu tant d’expériences, au-delà des trois îles, ses yeux qui avaient découvert d’autres visages, ses oreilles qui avaient été bercées de musiques étranges, tous ses sens l’enfouissaient à nouveau dans une vasque aux mille souvenirs, le royaume confus de l’imagination et de la divination, l’antre du passé et de l’avenir, qui se confondaient, hors l’âme, avec le présent, encore, il voyageait dans ces sphères colorées où il vivait des vies différentes, siennes sans être siennes.
L’air chaud fit perler une goutte de sueur à son front, qui glissa le long du sourcil pour être enfin une larme, au coin de son vieil œil sage…